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L’art de manger : étude comparative Paris-Calgary

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Benjamin et moi sommes rentrés en France pour les fêtes. L’occasion, deux ans après notre départ, de revoir famille (beaucoup) et amis (un peu). L’occasion aussi de renouer avec la gastronomie française, et surtout, avec le service à la française ! Voici un petit billet comparant les cultures de la table entre Paris et Calgary. En tant que doctorante préparant une thèse adoptant une méthodologie comparative et qualitative, vous êtes entre de bonnes mains pour ce voyage ethnographique entre deux cultures culinaires assez éloignées.

Le service à Calgary est pour le moins perturbant et surprenant pour un Français. Tout commence avec les même références pourtant. Le serveur nous invite à nous assoir à une table. On peut négocier le placement si celui-ci ne nous convient pas – avec même un peu plus de facilité qu’en France ! On nous apporte les menus et le serveur commence par prendre nos commandes de boissons. Puis, nous commandons les plats et on nous sert dans un délai raisonnable.

Jusque là tout va bien. C’est ensuite que les conventions entre ce qui définit un « bon » service et un « mauvais » service divergent. Au restaurant, en France, on y va pour socialiser, discuter avec des amis, tranquillement, en prenant son temps. Si par hasard on a besoin du serveur, on lui fait signe en levant la main pour lui demander de l’eau, du pain ou autre. On prend son temps et on discute avec passion la dernière allocution présidentielle, on donne son avis sur la France-Afrique et l’intervention en Centrafrique ou bien on déprime et on râle sur le devenir de la France et du monde.

Ces conversations simples et pleines d’entrain sont impossibles à Calgary. Imaginez, toutes les cinq minutes – montre en main – voici nos discussions emportées interrompues par les préoccupations très terre à terre du serveur: « Est-ce que vous voulez autre chose à boire ? », « Est-ce que le plat est bon ? », « Est-ce que vous avez fini ? » « Est-ce que tout va bien ? », « Voulez-vous commander autre chose ? » Le serveur nous interrompt au milieu d’une envolée lyrique et voici que l’on perd le fil de notre argumentation. La passion retombe devant le visage au sourire forcé du serveur.

Et si on ne l’entend pas, il emploi les grand moyens pour indiquer sa présence : un bloc-note agressivement brandi au-dessus de la table pour prendre une commande qu’on veut nous extorquer de force, une main brutale qui avance dangereusement pour prendre en otage une choppe de bière bien entamée, une tentative perfide de confisquer les couverts et les dernières bouchées d’une assiette. C’est particulièrement vrai dans les pubs.

John Gilchrist

John Gilchrist est le chroniqueur phare de Calgary sur les restaurants et la bonne bouffe. Chaque vendredi matin ce cher John passe en revue sur CBC un restaurant de Calgary. Et des restaurants, il y en a pléthore à Calgary: restaurants chinois, indiens, éthiopiens, libanais, italiens… et même français! Mais généralement, nous n’avons pas les  mêmes critères que lui… L’étude comparative se poursuit!

Mon explication pour comprendre ce service à Calgary tient dans le système du pourboire. En Alberta, les serveurs travaillant dans un pub, ou dans tout autre établissement servant de l’alcool, sont souvent rémunérés au salaires minimum (un peu moins de $10/heure). Du coup, la plus grande partie du salaire provient du pourboire, qui s’est institutionnalisé de façon informelle. La règle tacite veut qu’on laisse entre 15 et 20% du montant de l’addition comme pourboire. Ça fait mal pour un Français…

Dés lors, la logique veut que plus le client consomme, plus l’addition augmente et par conséquent le montant du pourboire augmente également. Donc, plus le serveur pousse à la consommation, plus il augmente son salaire… et c’est pourquoi les serveurs ont intérêt à nous pousser à remplir nos verres vides… et c’est pourquoi ils insistent lourdement pour s’assurer que nos gosiers ne sont pas secs et nos estomacs point vides.

C’est également pour cette raison que l’on presse les clients à finir au plus vite s’ils ne consomment rien. Tout client qui ne mange pas et reste à papoter est un client qui ne rapporte rien. Donc, dés que l’un des convives a fini son assiette, plus rapide que l’éclair, le serveur débarrasse l’assiette du dit convive, et cela même si les autres convives n’ont pas fini la leur. Du coup, ces derniers se sentent obliger d’accélérer la mastication alors que le premier à l’impression d’être un gros glouton. La première fois que cela nous est arrivé à Benjamin et moi, nous sommes restés sans voix. J’ai failli rappeler la serveuse pour lui demander de me ramener mon assiette et de débarrasser la table une fois que Benjamin et moi aurions tous les deux fini. Mais, comme j’essayais d’être canadienne et que l’une des premières règles primordiales apprises est de « Ne pas faire de vague », je n’ai rien dit.

A la défense des Calgariens, les portions sont géantes et si l’on ne finit pas son assiette on peut demander un « doggy bag », pudiquement appelés « boxes ». Rien à voir avec les portions un peu radines des restaurants français que l’on dissimule en les servant dans d’arrogantes assiettes. Mais du coup, pas de dessert, ni d’entrée.

Alors qu’en France, un diner au resto dure au grand minimum une heure, à Calgary, il peut être plié en une trentaine de minutes si vous laissez le serveur vous bousculer. A vous donc de trouver les petites combines pour ralentir le service… Laisser un fond dans votre pinte, quelques bouchées bien en vu dans votre assiette, conserver vos couverts dans les mains… Autant de subterfuges qui freinent les ardeurs du serveur et vous permettent de profiter d’un diner en amoureux ou entre amis, à refaire le monde sans entrave!


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